La rédaction web des Echos - 3 août 2006

 

 

SCIENCES ET TECHNOLOGIES - 

 Les chimpanzés sont des politiciens [ 03/08/06 ]

 

 

Pour l'éthologue Frans de Waal, le comportement des hommes de pouvoir est très proche de l'organisation sociale des grands singes.

 

On connaît la plaisanterie qui hante le sommeil des évolutionnistes : le zèbre est-il blanc strié de noir, ou le contraire ? On peut tout autant se demander si les grands primates ont singé nos moeurs politiques ou si c'est plutôt l'inverse. Dans son dernier livre (*), l'éthologue américano-néerlandais Frans de Waal prend un malin plaisir à comparer les comportements des singes et des humains, souvent proches.

 

On connaît la grande sophistication des rapports sociaux des fourmis, une société où l'individu n'existe pas et au regard de laquelle les humains sont des pacifistes. Chez les primates, et surtout chez les chimpanzés, « les personnalités existent et ce sont des bêtes de politique », dit l'éthologue. Au centre de la politique, qu'elle soit simiesque ou humaine, on retrouve toujours le pouvoir. Pour les primates, dominer promet de répandre au mieux ses gènes en profitant de privilèges auprès des femelles les plus séduisantes. Chez l'homme, les privilèges sont multiples, mais ils concernent aussi la sexualité. L'histoire a souvent montré l'insatiable appétit des rois ou des potentats en tout genre. De Mao aux maharadjahs, des présidents démocrates aux riches, des harems jusqu'aux boudoirs des parlements, le pouvoir attire les élégantes.

 

Les différentes races d'hominidés partagent les mêmes stratégies pour s'arroger le pouvoir. La plus efficace d'entre elles est l'affrontement. Elle fait ses preuves depuis des millions d'années, comme le montre la sélection naturelle qui a privilégié les canines surdimensionnées des babouins ou les impressionnantes carrures des gorilles. On pourra toujours rétorquer que le physique miniature de certains de nos éminents politiciens balaie cette thèse. Dans nos sociétés occidentales, on ne se bat plus à coups de hache pour conquérir les trônes ou les présidences d'entreprises, mais l'affrontement physique reste d'actualité. Lors de leur première rencontre, deux politiciens continuent de se jauger et de s'impressionner en débattant vivement d'un sujet, en se coupant la parole ou en adoptant des postures de domination avec de grands gestes, des voix assurées ou des expressions faciales expressives.


Manoeuvres d'intimidation

Chez les chimpanzés, les présentations sont moins nuancées, mais tout aussi démonstratrices : on hérisse le poil, on charge à tout va. Il s'agit souvent d'intimidations, mais les coups peuvent être mortels. Certaines espèces le sont plus que d'autres, les babouins macaques étant les sociétés les plus violentes, alors que les bonobos passent pour les hippies des primates. Certaines espèces ne se mordent pas, savent se réconcilier très vite et tolèrent les autres autour de leur nourriture, rappelle Frans de Waal. Le singe-araignée laineux ne se bat presque pas.

 

D'autres stratégies plus fines sont indispensables comme l'alliance, la trahison et le complot. Les assassinats politiques ne datent d'ailleurs pas d'hier. L'histoire de Luit, un dominant en pleine ascension d'une population de chimpanzés, ressemble à tant d'autres chez les humains. Frustrés de voir leur autorité concurrencée, deux mâles estropièrent cruellement Luit jusqu'à l'émasculer et le tuer. Sans alliance, un chef primate ne tient pas longtemps. Certains dominants âgés cèdent à un autre leur autorité tout en continuant à tirer les ficelles dans la coulisse. Un nouveau parvenu prend souvent pour bras droit celui qui l'a aidé dans ses combats. Deux singes rivaux savent aussi souder une coalition après affrontement. On note un comportement parallèle chez les politiciens humains, entre les deux rivaux d'un même parti. Quand l'un des deux est désigné candidat officiel, l'autre s'empresse de se rallier à lui, sourire photogénique à l'appui. D'autres individus utilisent au contraire la division entre rivaux pour régner.

 


Le stress des dominants

La clarification de la hiérarchie est le souci constant des mâles chimpanzés, mais aussi d'autres espèces comme les macaques rhésus, qui tiennent la palme de la société de caste. Chez eux, les provocations sont incessantes pour s'assurer de la soumission de chaque rang.

 

Chez notre race, cette hiérarchie est tout aussi présente, très tôt dans la vie. Les instituteurs le savent bien : « Dès les premiers jours de classe, on repère les enfants dominés et les dominants. C'est encore plus visible dans les petites sections », rappelle Carole Méheut, professeur des écoles. Frans de Waal s'amuse à rappeler que la volonté de pouvoir de la race humaine reste un tabou dans nos sociétés, jusque dans les manuels de psychologie. Chez les hommes politiques, en particulier, la soif de pouvoir n'est jamais évoquée, mais on se présente en serviteur de l'Etat, on vante son sempiternel « sens de l'intérêt général ». Les primates sont bien moins hypocrites. C'est en les observant que l'éthologue a fait le deuil de l'utopie de 1968 selon laquelle l'inégalité entre individus était une dérive culturelle facilement redressable. « Ses racines sont beaucoup plus profondes », pense-t-il aujourd'hui.

 

Dominer est toutefois loin d'être une sinécure. Outre les risques permanents, le stress est fréquent chez les dominants. Des biologistes ont mesuré pendant des années chez les mâles alpha et leur entourage les taux de cortisol, hormone du stress dans le sang. Ils ont réalisé que ce taux dépendait de la facilité à gérer les tensions sociales, les taux fluctuant avec l'habileté des personnalités.

 

Le pouvoir est aussi une drogue. Les mâles dominants ne supportent pas qu'on leur vole la vedette et s'opposent farouchement aux tentatives de putsch des jeunes. Quand un affrontement, ou un vote, déboulonne le chef en place, la sanction est dramatique pour le perdant. Frans de Waal cite le cas de Yeroen, qui se laissa choir d'un arbre après avoir perdu la domination du groupe, un signal interprété comme un appel à être consolé. Par la suite, Yeroen montra tous les signes du désespoir, des regards vides et un éloignement de la vie sociale, situation qui rappelle à l'éthologue la réaction d'un mandarin de son université consécutive à la fronde de ses collaborateurs. Richard Nixon manifesta une telle affliction après sa destitution dans l'affaire « Watergate » qu'Henry Kissinger le consola dans ses bras. Les parallèles de Frans de Waal sont bluffants, mais ils appartiennent plus souvent au domaine de l'interprétation qu'à celui de la démonstration. Les éthologues n'acceptent pas tous d'aller si loin dans la comparaison entre les animaux et les hommes.

 

MATTHIEU QUIRET

 

 

 

Commentaires publiés

 

Peuj [03/08/2006 11:42] dit :

Pourquoi, après un article aussi intéressant et si vrai, ces quelques dernières phrases qui n'ont pour seul but que de minimiser la portée de la connaissance, de la science de Frans de Waal ? Pourquoi toujours cette peur d'être "comparé" aux animaux alors que nous savons tous que nous faisons partie du règne animal, et que Linné nous a classé, à juste titre, chez les primates depuis le milieu du 18ème siècle (il y a 250 ans !) ?
Sous couvert d'objectivité, les deux dernières phrases de l'article font passer les affirmations de De Waal du rang de découvertes scientifiques à celui d'anecdotes, du rang de points communs, à celui de vagues ressemblances. Une telle attitude a le don de me hérisser le poil. Tiens, encore une vague ressemblance...?
Sortez de vos bureaux, balayez vos interdits culturels, allez voir des singes dans des milieux qui les mettent en valeur (par ex, la Vallée des Singes, près de Poitiers). Vous vous sentirez moins seuls sur votre piédestal
!


JP Guéry, Ethologue