Frans de Waal, professeur à l'université Emory d'Atlanta et directeur du Yerkes Primate Center (Etats-Unis), observe depuis près de trente ans la vie sociale des chimpanzés et des bonobos, nos plus proches parents sur l'échelle de l'évolution. Deux espèces quasiment identiques au plan génétique, mais aussi différentes, par leur comportement, que le jour et la nuit. Les premiers, bourrus, brutaux et ambitieux, s'imposent par leur agressivité. Les seconds, étudiés depuis peu, sont dotés d'un solide appétit sexuel, pacifiques et doués de compassion. Deux miroirs complémentaires dans lesquels nous avons désormais la possibilité de voir notre reflet, tel un Janus dont chacun des visages regarderait dans une direction opposée.
Si l'auteur s'était contenté de dresser un panorama des recherches menées ces dernières décennies sur nos cousins à quatre mains, son livre aurait déjà été intéressant. Il utilise cette connaissance pour aborder les problèmes de nos propres sociétés, et sa réflexion devient passionnante. Elle s'inscrit résolument en faux contre les théories de l'exception humaine, que celles-ci fassent de l'homme une espèce destinée à dépasser son animalité ou qu'elles le présentent comme une aberration de la nature.
Oublions donc les comportements innés : de ces primates qui parlent de nous, le plus important n'est pas ce qu'ils révèlent de nos composantes instinctuelles. "Compte tenu de la lenteur de leur développement - ils atteignent l'âge adulte vers 16 ans - et de leurs amples capacités d'apprentissage, ils ne tablent pas beaucoup plus que nous sur l'instinct", affirme Frans de Waal. "Ce que nous comparons, c'est la façon dont les humains et les singes négocient les problèmes en combinant tendances naturelles, intelligence et expérience vécue", ajoute-t-il.
De la haine ou de l'amour, qu'est-ce qui nous décrit le mieux ? Quelle est la condition de notre survie, la compétition ou la coopération ? Nous sommes sensibles aux intérêts collectifs, mais pas au point de renoncer aux intérêts individuels, comme en témoigne la chute du communisme ou l'engouement qu'a connu le darwinisme social. Quant au capitalisme absolu, il pourrait bien, lui aussi, se révéler éphémère s'il élève le bien-être matériel de quelques-uns aux dépens de tous les autres, niant ainsi notre nature coopérative.
"Plus méthodiques dans notre brutalité que les chimpanzés et plus empathiques que les bonobos, nous sommes de loin le grand singe bipolaire par excellence", conclut le primatologue. L'homme, un singe parmi d'autres ? Nombre de philosophes et de biologistes, à n'en pas douter, contesteront cette thèse. Mais celle-ci, solidement étayée, ne peut guère laisser indifférent.